HALIFAX, N.-É. – Le Centre juridique pour les libertés constitutionnelles (CJLC) fournit une assistance juridique à la Society for Academic Freedom and Scholarship (SAFS) dans une affaire qui soulève des enjeux cruciaux concernant l’équité procédurale, la liberté d’expression et le seuil juridique de la discrimination.
Tout commence par un article publié en 2019 sur le site de la SAFS, où le professeur John MacKinnon relate une expérience vécue à l’Université Saint Mary’s à Halifax. Il y mentionne une étudiante, qu’il désigne sous le pseudonyme « Q », une Autochtone inscrite à l’un de ses cours en 2018. À sa grande surprise, il découvre que cette étudiante a été autorisée à se retirer du cours – qu’elle était en voie d’échouer – dix jours après la date limite, une dérogation normalement accordée uniquement pour des circonstances exceptionnelles (raisons médicales ou décès familial).
Dans son article, le professeur MacKinnon s’interroge sur l’impact de l’« indigénisation » dans le milieu universitaire : « Combien de règlements ont été assouplis ou ignorés? Combien de relevés de notes ont été falsifiés? Combien de notes gonflées, combien de pseudo-disciplines inventées?». Selon lui, ces pratiques compromettent l’intégrité académique.
Quelques mois plus tard, l’étudiante en question réalise que « Q » fait référence à elle et porte l’article à l’attention de l’Université et du professeur. Elle affirme s’être sentie rabaissée et moquée. Une médiation est organisée sous l’égide d’un conseiller en résolution de conflits universitaires. Le professeur MacKinnon accepte de présenter ses excuses, et l’article est retiré du site de la SAFS.
Treize mois après avoir pris connaissance de l’article, l’étudiante dépose une plainte pour discrimination auprès de la Commission des droits de la personne de Nouvelle-Écosse (CDPNÉ) contre l’Université et la SAFS. Or, le délai légal pour une telle plainte est dépassé. La Commission lui suggère de demander une prolongation, qu’elle obtient. La plainte est acceptée sans que l’Université ni la SAFS n’en soient informées immédiatement. Elles ne reçoivent une copie du document original que le 4 juin 2021.
Après enquête, la Commission décide, le 6 juin 2024, de renvoyer la plainte devant une commission d’enquête pour une audience formelle visant à déterminer s’il y a eu discrimination au sens du Nova Scotia Human Rights Act. Or, pour qu’une telle procédure soit justifiée, il faut que les faits allégués puissent raisonnablement constituer un cas de discrimination.
Le 30 juillet 2024, l’Université saisit la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse pour contester cette décision. Lors des audiences tenues en janvier et février 2025, les avocats de l’Université et de la SAFS soutiennent que la plainte n’aurait jamais dû être portée à l’enquête formelle.
La SAFS dénonce des délais de traitement excessifs et souligne qu’aucune preuve de discrimination n’a été apportée. Elle rappelle que les lois sur les droits de la personne ne visent pas à protéger contre « les propos blessants, humiliants ou offensants », mais uniquement contre les formes d’expression les plus extrêmes, celles qui incitent directement à la discrimination envers des groupes protégés.
L’article du professeur MacKinnon, selon la SAFS, ne faisait que poser des questions légitimes sur l’intégrité académique, un sujet d’intérêt public. Considérer cette réflexion comme discriminatoire constituerait une atteinte à la liberté d’expression, garantie par l’article 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Comme l’explique le constitutionnaliste Chris Fleury : « Cette affaire soulève une question fondamentale : peut-on établir un cas de discrimination en vertu des lois provinciales sur les droits de la personne à partir d’un texte qui n’a eu aucun impact matériel sur le plaignant? La Cour suprême du Canada a maintes fois rappelé que ces lois ne servent pas à censurer les propos blessants, mais à prévenir l’expression la plus extrême susceptible de causer un réel préjudice ».
Il conclut ainsi : « Permettre à des plaintes infondées de passer à l’enquête formelle créerait un dangereux précédent et aurait un effet dissuasif sur la liberté d’expression, notamment pour des organisations comme la SAFS ».
La décision de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse est attendue.