*Le CJLC est la direction franco-canadienne du Justice Centre for Constitutional Freedoms (JCCF).

EN

*Le CJLC est la direction franco-canadienne du Justice Centre for Constitutional Freedoms (JCCF).

Parolibres – L’infolettre du CJLC – Centre juridique pour les libertés constitutionnelles

Montréal, QC | 1er mars 2023

Tournée de John Carpay dans les régions de Québec et de Beauce

Le président fondateur du CJLC sera dans notre coin de pays au début avril. Il donnera des conférences dans les régions de Québec et de Beauce, et se rendra disponible pour rencontrer nos donateurs et supporteurs en personne.

Nous publierons bientôt les détails sur le site CJLC.ca, sur nos comptes Facebook et Twitter, ainsi que par courriel. Restez à l’affût!

 


 

Projet de loi C-11 sur le streaming : la censure provisoirement écartée

Le Sénat du Canada a renvoyé à la Chambre des communes le projet de loi C-11 en suggérant qu’y soient apportées deux des principales modifications que le CJLC avait recommandées dans son mémoire présenté au Comité permanent des transports et des communications. Une lueur d’espoir…

 


 

Technocratie à sécurité maximale : le commentaire du CJLC sur le rapport de la Commission sur l’état d’urgence

« J’ai conclu qu’en l’espèce, le seuil très élevé à respecter pour invoquer la [Loi sur les mesures d’urgences] a été atteint. Je l’ai fait avec réticence. » Ainsi conclut l’honorable Paul Rouleau, président de la Commission sur l’état d’urgence. Paradoxalement, la réticence du commissaire est mieux justifiée que les conclusions de ce rapport de quelque deux mille pages publié le 17 février dernier.

Pour que la « déclaration d’urgence d’ordre public » soit justifiée, le juge Rouleau affirme que tous les éléments suivants devaient être réunis :

  1. Une situation urgente et critique, de nature temporaire, qui met sérieusement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens.
  2. La situation d’urgence découle d’activités visant la menace ou l’utilisation de violence grave contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique.
  3. La situation d’urgence est d’une ampleur ou d’une nature telle qu’elle dépasse la capacité ou l’autorité d’une province à y faire face.
  4. Aucune autre loi fédérale ne permet de faire face adéquatement à la situation de crise.
  5. La situation de crise nécessitait la prise de mesures temporaires spéciales.
  6. Les provinces ont été adéquatement consultées suivant l’article 25 de la Loi.

Malgré tout le respect dû au juge Rouleau, nous croyons les preuves présentées à la Commission n’ont pas satisfait à ces conditions.

Plus de peur que de mal

Il va sans dire que les manifestants cherchaient à atteindre un objectif politique ou idéologique, soit de mettre fin aux contraintes vaccinales et aux autres mesures covid draconiennes. Aucune preuve crédible n’a toutefois étayé la thèse d’une « menace » ou de l’utilisation de « violence grave » contre des personnes ou des biens.

Certains résidents d’Ottawa ont certainement été irrités par la manifestation pacifique. Les incommodités qu’ils ont pu subir ne présentaient pas pour autant de risque sérieux. Il est vrai que notre société est de plus en plus soucieuse du bien-être psychique de ses membres, mais le sens des mots « danger », « vie », « santé » et « sécurité » n’a pas changé récemment. Toute personne gravement perturbée par d’occasionnels klaxons, des effluves de diesel et quelques rues bloquées près de chez elle a besoin de compassion et de traitements médicaux ou psychologiques dignes de ce nom, pas de mesures de guerre.

Ajoutons que les Ottaviens du centre-ville ne sont pas les Canadiens; ils ne forment qu’une infime fraction de la population – non représentative au demeurant, exception faite des éphémères occupants de la Chambre des communes. Les gens de ce secteur bénéficient du prestige de la capitale fédérale et des flots de fonds publics qui s’y déversent. La qualité des infrastructures et services qui leur sont offerts n’a aucune commune mesure avec l’ordinaire d’un Canadien moyen.

En d’autres mots, les Ottaviens dont il est ici question sont des gens immensément privilégiés. Ils doivent cependant accepter les inconvénients normaux de la vie d’une capitale, notamment la tenue de manifestations dont l’intensité et la durée varieront en fonction de la cause et de la situation du pays. Stupéfiante inconséquence que celle des résidents qui se sont cru en droit d’intenter une action collective contre la masse des manifestants et de leurs supporteurs! Préféreraient-ils que le Parlement redéménage à Montréal, ville qui a l’habitude des manifs houleuses et des problèmes de circulation? Peut-être est-il temps, en effet, de donner aux douillets rentiers d’Ottawa la paix à laquelle ils aspirent…

Quand l’État plaide sa propre turpitudes

Le rapport Rouleau consacre un précédent pour les administrations canadiennes qui voudront sans doute, dans l’avenir, invoquer leur propre insuffisance ou incompétence pour justifier le recours à des mesures liberticides.

Si l’Ontario a échoué à gérer la manifestation de façon appropriée, cela ne signifie pas que la province était incapable ou n’avait pas l’autorité de gérer la situation. Le juge Rouleau constate que la réponse au Convoi de la liberté a comporté une série d’échecs policiers. Certaines de ces erreurs étaient peut-être mineures, mais d’autres étaient plus importantes et, ensemble, elles ont mené à une impasse opérationnelle. Or, l’incompétence du gouvernement n’est pas la même chose que son manque de moyens ou d’autorité.

Les gouvernements municipal (Ottawa) et provincial (Ontario) n’ont pas utilisé les outils qui étaient à leur disposition, par exemple (1) émettre des contraventions pour le bruit, le stationnement et les infractions au Code de la route, (2) retirer et entreposer les camions qui entravaient ou bloquaient le mouvement normal et raisonnable de la circulation sur les routes, (3) obtenir une injonction, utiliser la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence de l’Ontario en vertu de laquelle la police pouvait ordonner que l’on se disperse et déplace les véhicules.

La police, en outre, aurait pu porter des accusations criminelles contre les rares manifestants délinquants : méfait, intimidation, outrage au tribunal, etc. Elle ne l’a pas fait : avant l’invocation d’une prétendue « urgence nationale » le 14 février 2022, pratiquement aucune accusation criminelle n’avait été portée contre les participants du Convoi.

Autre exemple : affirmant que la situation à Ottawa était dangereuse et chaotique, le juge Rouleau mentionne le blocage des voies d’urgence sur la rue Kent. Il se garde bien, pourtant, de reprocher au gouvernement local de ne pas avoir utilisé les outils d’application de la loi disponibles pour dégager cette rue. En d’autres termes, on doit comprendre que l’incompétence des gouvernants justifie le recours à la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin, par la force, à une manifestation pacifique – lire violente en novlangue.

Des faits alternatifs dans un univers parallèle?

Comment a-t-on pu conclure qu’une manifestation pacifique pouvait constituer une « urgence nationale » ? Cela restera à jamais un mystère, quoique le long rapport fournisse quelques indices. Le commissaire Rouleau affirme à plusieurs reprises que les opposants aux restrictions covid avaient été fortement influencés par la « désinformation » et la « mésinformation », mais il ne considère pas sérieusement la possibilité que les gouvernements et les médias aient pu diffuser de la « désinformation » accidentelle et de la « désinformation » délibérée.

En qualifiant la covid de « crise de santé publique sans précédent », l’auteur accepte le discours des gouvernements et des médias financés par les gouvernements, passant sous silence que l’impact réel de la covid sur les populations diffère peu de celui de la grippe asiatique de 1957-1958 et de la grippe de Hong Kong de 1968-1969. Ce n’est pas la pandémie qui était « sans précédent », mais bien sa gestion par une classe politique hyper-hygiénique, autoritaire et frileuse : une toute nouvelle expérience consistant à enfermer des populations entières de personnes en bonne santé pendant des mois.

Le juge Rouleau utilise avec une certaine légèreté des termes comme « violence », « harcèlement » et « intimidation », sans toutefois les définir ni expliquer ce à quoi ces comportements peuvent se rapporter. Un autre exemple de dévoiement du langage par nos élites censément instruites et cultivées. Triste sort que celui du langage dans un monde où l’on peut prétendre sans rougir que l’expression d’une opinion constitue une forme de violence!

[Langue française 101. Voici des formes de « violence » : un coup de poing au visage, un tir de revolver dans le crâne, l’explosion d’une bombe dans une boîte à lettres de Postes Canada, une menace de mort, l’appel exprès au meurtre ou au génocide, un viol, le sabotage mécanique d’un oléoduc, une attaque au camion-bélier, un suicide par pendaison, un élan de bâton de golf la vitrine d’un magasin, le goudronnage et l’emplumage d’un premier ministre. Par contraste, voici des comportements non violents et tolérables, quoique possiblement fâcheux : des coups de klaxon diurnes, l’obstruction de quelques rues, l’affichage de slogans politiques pacifiques sur de grands écriteaux, l’installation de parcs à jeux gonflables sur le domaine public, le don de quelques dollars à un groupe de manifestants.]

Le commissaire déplore des comportements « illégaux » et « non pacifiques » sans faire référence à des violations réelles du Code criminel. Cette utilisation vague du langage ne tient pas compte de la distinction cruciale entre un crime et un comportement qui suscite simplement la contrariété chez certaines personnes exposées à des opinions avec lesquelles elles ne sont pas du tout d’accord.

Le juge Rouleau semble ignorer le fait que quelques jours après leur arrivée à Ottawa, les camionneurs ont eux-mêmes imposé une période de calme obligatoire de 20 h à 8 h chaque jour. Réciproquement, ils ne voulaient pas entendre les sirènes lorsqu’ils essayaient de dormir. Tout en affirmant qu’aucune personne ou groupe n’avait parlé au nom de tous les manifestants, ni même de la plupart d’entre eux et qu’il n’y avait pas eu de véritable organisation centrale des manifestations, l’auteur reproche à Chris Barber et Tamara Lich de ne pas avoir réussi, d’une manière ou d’une autre, à empêcher les klaxons de certains individus qui n’ont pas respecté la restriction imposée par les camionneurs eux-mêmes. Contradiction dans les termes.

Le commissaire se plaint d’un nombre inconnu d’individus « controversés » et « extrêmes » qui auraient épousé des opinions « répréhensibles », comme si cela était juridiquement pertinent. Dans un pays comme le Canada, fondé sur la primauté du droit, la seule chose qui compte au sujet des manifestants est leur comportement, non le fait que leurs opinions soient populaires ou impopulaires. Tenez : d’aucuns se désoleront peut-être ouvertement du caractère « controversé » du rapport Rouleau ou de sa « myopie extrême et répréhensible ». Ce serait leur droit, qu’ils aient raison ou tort.

Le juge Rouleau, faut-il le rappeler, siège à la Cour d’appel de l’Ontario, où il a connu de nombreuses affaires de meurtre, d’inceste, de trafic de drogue, etc. Dans le rapport de la Commission, ce magistrat exposé aux pires obscurités de l’âme humaine qualifie de « troublant » le ton de manifestations non violentes qui ont ciblé le bus de campagne du candidat Trudeau lors des élections de 2021. Certains manifestants étaient des manifestants « antivaccins » qui brandissaient des drapeaux et des bannières, utilisaient des porte-voix, criaient et, dans certains cas, chahutaient même le parlementaire. D’aucuns trouveront peut-être que le commissaire Rouleau a ici manqué de perspective dans son application de l’échelle du trouble… Quoi qu’il en soit, tout comme la présence ou l’absence de personnes aux opinions prétendument « extrêmes », cet élément n’était pas juridiquement pertinent pour déterminer si la répression violente des manifestants pacifiques du Convoi en 2022 était justifiée ou non.

Prochain épisode

Ni chair ni poisson, le rapport de la Commission marque un gain pour les bureaucraties pusillanimes, technocrates et infantiles qui règnent dans nos capitales.  Le juge Rouleau précise à bon droit que rien dans son rapport ne lie les tribunaux. Tant mieux. La Cour fédérale est actuellement saisie d’une action visant à faire déclarer que le Premier ministre a agi illégalement lorsqu’il a déclaré qu’une manifestation pacifique dans une ville constituait une « urgence nationale »; espérons que la Cour se montrera plus robuste que la Commission dans son interprétation de la Loi sur les mesures d’urgences.