CALGARY, 9 janvier 2023 | Par John Carpay, B.A., LL.B., président fondateur du CJLC*
Bien que mes quelque 23 heures passées dans une prison de Calgary les 30 et 31 décembre aient été désagréables, de nombreux Canadiens – y compris Tamara Lich et les pasteurs Timothy Stephens, James Coates, Tobias Tissen et Art Pawlowski – ont subi bien pire.
Le vendredi 30 décembre, je travaillais au bureau. À13h25, j’ai reçu un appel téléphonique du détective Mark Weir des services de police de Calgary, m’informant qu’un mandat d’arrestation pancanadien avait été émis par la police de Winnipeg à mon encontre, avec des accusations criminelles découlant d’événements survenus plus de 17 mois auparavant. J’ai été choqué et surpris, c’est le moins que l’on puisse dire. Je n’avais pas été contacté par la police de Winnipeg ni par une autre gendarmerie au cours des 17 mois précédents. Le détective Weir m’a dit de me rendre en voiture au centre d’exécution des formalités d’arrestation de Spyhill, à l’extrême nord de Calgary, pour m’y livrer à la police. Il a dit que je comparaîtrais devant un juge de paix et que je pourrais rentrer chez moi le jour même.
Je suis arrivé au « centre d’exécution » (une prison, en fait) à 15h45, j’ai garé ma voiture et j’ai sonné à la porte. On m’a ouvert. À l’intérieur, j’ai été accueilli par M. Weir et un autre détective du service de police de Calgary, tous deux en civil mais chacun armé d’un revolver, ainsi que par un troisième agent en uniforme.
« Bon, vous êtes donc en état d’arrestation », a dit M. Weir. Il m’a informé de mon droit à parler à un avocat et à opter pour que mes procédures judiciaires soient menées en français. Je n’ai pas été menotté, mais on m’a demandé de mettre mes mains sur un mur pendant qu’on me fouillait à la recherche d’armes. Je n’en avais pas, évidemment.
N’étant jamais passé par cette procédure auparavant, j’ai naïvement demandé si je pouvais prendre mon ordinateur avec moi pour travailler en attendant. Les trois policiers ont gardé un visage impassible et répondu « non », mais je me demande aujourd’hui s’ils ne riaient pas intérieurement de ma question. Nous avons eu une brève discussion pour savoir si je devais emporter mon porte-documents (avec mon ordinateur et mes documents) pour le ranger à l’intérieur, ou si je devais le laisser dans ma voiture. Il ne faisait pas très froid dehors et ils ont dit que je ne resterais pas longtemps, alors j’ai choisi de laisser ce sac dans ma voiture. Ils m’ont escorté à l’extérieur pour mettre le sac dans la voiture.
De retour à l’intérieur, nous avons franchi deux portes hautement sécurisées (l’une d’elles s’ouvrait grâce à une technologie qui lisait les empreintes digitales du policier sur la poignée) et nous sommes arrivés à un comptoir derrière lequel un autre policier entrait des informations sur son ordinateur. On m’a dit que je ne pouvais porter qu’une seule couche de vêtements sur le haut du corps ; est-ce que je voulais mon tee-shirt ou ma chemise de ville ? J’ai opté pour cette dernière, pensant qu’elle serait plus belle lors de ma comparution devant le juge de paix. J’ai ensuite été fouillé à nouveau par un autre agent qui semblait chercher tout ce qui pouvait être cousu dans ma chemise ou mon pantalon. Il a fouillé à peu près chaque centimètre de tissu. Les agents ont pris mon manteau, ma ceinture, mes chaussures, mon téléphone et mon alliance, mais m’ont laissé mes lunettes. Ils m’ont photographié.
Ensuite, il y a eu un bref examen médical. L’ambulancier m’a posé une série de questions générales sur ma santé et sur l’existence de problèmes médicaux, ainsi que sur ma consommation d’alcool et de médicaments sur ordonnance. Lorsqu’elle m’a demandé si je consommais de la cocaïne, de l’héroïne, du fentanyl ou d’autres drogues, j’ai ri brièvement avant de déclarer que je n’avais jamais essayé ces substances, sans parler d’en être un consommateur régulier. J’ai trouvé étrange que cet examen médical se déroule en présence d’au moins un policier et je me suis demandé si certaines personnes hésiteraient à répondre honnêtement à ces questions sur les drogues dans ces conditions. L’ambulancière m’a dit que ma tension artérielle était un peu élevée, mais elle a ajouté que c’était normal dans les circonstances. J’ai raconté qu’un médecin m’avait dit un jour que je ne faisais pas d’hypertension, mais que j’avais la capacité d’en donner aux autres.
Ensuite, on m’a conduit dans une cellule en béton d’environ 12 x 12 pieds. Des néons au plafond étaient allumés en permanence. Il y avait une sorte de banc en béton le long du mur du fond. Murs blancs et sol gris ; le banc était également gris. Il y avait des toilettes et un lavabo (mais pas de papier hygiénique) et une caméra de vidéosurveillance au plafond pour assurer l’absence d’intimité.
Quelque temps plus tard (il n’y avait pas d’horloge, donc je n’ai jamais vraiment su combien de temps s’était écoulé), j’ai demandé à parler à un avocat et on m’a fait sortir de ma cellule pour me conduire dans une cabine téléphonique verrouillable. Je plains toute personne claustrophobe qui se retrouverait, la porte barrée, dans cette petite cabine . Il y avait un téléphone à l’ancienne avec des touches métalliques pour composer les numéros. Après ma brève conversation avec l’avocat commis d’office (conseil prévisible : « ne dites rien à personne »), on m’a laissé dans la cabine. J’ai donc choisi d’appeler ma femme. Une remarque à l’intention des jeunes : il est utile de mémoriser des numéros de téléphone pour des situations imprévues. Si jamais vous vous retrouvez en prison, par exemple, vous n’aurez pas votre téléphone sur vous et ne pourrez appeler que les personnes dont vous vous connaissez le numéro par cœur.
Vers 18h30, on m’a proposé un sandwich, qui a été poussé par un trou dans la porte de ma cellule. Viande et fromage sur du pain blanc; je lui ai donné sept ou huit sur dix. J’ai pu savoir qu’il était 18 h 30 en demandant l’heure au gardien; je n’aurais pas pu le faire autrement.
Vers 23h, on m’a enfin sorti de ma cellule pour me conduire dans une autre pièce afin de prendre mes empreintes digitales. On m’a à nouveau photographié, et on m’a demandé où j’étais né. Quand on m’a demandé si j’avais des tatouages ou des cicatrices, je n’ai pas signalé la petite cicatrice presque invisible sur mon poignet droit, qui résulte d’un léger accident de moto survenu en Grèce en 2002.
À ma grande déception, on m’a alors dit que le juge de paix siégeait jusqu’à minuit et qu’il n’y avait aucune chance que je comparaisse avant. Je devrais passer la nuit en cellule. J’étais déjà désolé que ma réunion de famille spéciale du vendredi 30 décembre au soir, qui avait été planifiée des semaines à l’avance et que nous attendions tous avec impatience, ait dû être annulée. La nouvelle de devoir passer la nuit en prison a ajouté à cette déconvenue.
Le vendredi 30 décembre, la police de Calgary m’avait assuré à plusieurs reprises que je serais promptement relâché. J’ai passé une nuit terrible, essayant de dormir sur du béton sans lit de camp ni matelas, oreiller ou couverture. Les néons de ma cellule n’ont jamais été éteints ni tamisés. Quelle que soit la position dans laquelle vous vous allongez, elle devient très inconfortable au bout de quelques minutes.
Par chance, dans le mois qui a précédé mon incarcération, j’avais terminé la lecture de deux livres écrits par des résistants néerlandais ayant travaillé à saper le régime d’occupation nazi aux Pays-Bas pendant la Seconde Guerre mondiale. Les deux auteurs ont passé du temps en prison, l’un à Dachau (le premier camp de concentration d’Hitler, utilisé pour emprisonner et tourmenter les détracteurs du régime) et l’autre dans une prison gérée par les nazis aux Pays-Bas. Ce que chacun de ces deux combattants de la liberté a enduré est absolument affreux, horrible au-delà de toute description; méditer leur exemple et comparer mon sort au leur a rendu mon séjour de 23 heures dans le « centre d’exécution » infiniment plus supportable. J’ai aussi souvent pensé aux nombreuses semaines que Tamara Lich et les pasteurs Timothy Stephens, James Coates, Tobias Tissen et Art Pawlowski ont passées en prison ici au Canada.
J’ai pris un autre sandwich ou deux à un moment donné au début de la matinée du samedi 31 décembre.
Puis le pire moment est arrivé. Alors que je parlais au téléphone avec l’avocat de service de l’Aide juridique, il m’a dit que je serais transféré dans une autre prison, le Centre de détention provisoire de Calgary. Il a insisté sur le fait que je resterais dans cette prison jusqu’à six jours de plus en attendant que le personnel du ministère de la Justice du Manitoba se rende à Calgary par avion, vienne me chercher et me transfère dans une prison de Winnipeg. J’ai ressenti de la terreur et du désespoir, non pas tant à propos des conditions au centre de détention provisoire de Calgary (j’ai entendu dire qu’elles étaient désagréables) mais à propos de tous mes projets familiaux et de mes engagements professionnels pour la semaine à venir. Par exemple, je ne pourrais pas profiter du temps restant que mon fils, jeune adulte, passait avec nous à Calgary pendant les vacances de Noël. Une importante réunion du Centre juridique avait été prévue pour le 4 janvier, et il y a toujours beaucoup de travail à faire.
J’ai dit à l’avocat de service que la police de Calgary m’avait assuré à plusieurs reprises que je serais libéré le vendredi (soit la veille), ce à quoi il a répondu : « Eh bien! parfois la police ment, juste pour que vous vous rendiez. Cela leur évite beaucoup de travail. » J’ai insisté sur le fait qu’il devait se tromper. J’ai expliqué qu’il serait insensé de me transporter à Winnipeg alors que ma femme, mes enfants, ma résidence et mon emploi sont tous à Calgary. Je lui ai demandé de dire au procureur de la Couronne que je paierais volontiers mon propre vol vers Winnipeg pour toute comparution devant le tribunal, ce qui éviterait aux contribuables d’avoir à envoyer deux gardes en avion de Winnipeg à Calgary pour venir me chercher et m’escorter jusqu’à une prison du Manitoba. L’avocat commis d’office a dit que mes chances d’être libéré ce jour-là étaient d’une sur un million.
L’avocat a ensuite fouillé davantage dans le dossier et est tombé sur un courriel ou une autre information indiquant que le ministère de la Justice du Manitoba avait accepté que je sois libéré à Calgary. J’étais pour le moins soulagé. Cela correspondait à ce que M. Weir m’avait dit. La terreur et le désespoir ont commencé à s’estomper.
J’ai été raccompagné à ma cellule pour une nouvelle attente de plusieurs heures. On m’a donné un autre sandwich vers midi, mon quatrième et dernier pendant ce séjour de 23 heures.
Vers 13h, on m’a fait sortir de ma cellule pour me conduire dans une pièce où un système de télévision en circuit fermé me faisait apparaître sur un écran en compagnie du juge de paix, de l’avocat de la défense de l’Aide juridique et d’un procureur de la Couronne. La Couronne et la défense ont présenté une demande conjointe pour ma libération immédiate, laquelle a été accordée.
Naïvement, j’espérais qu’il y aurait une meilleure aire d’attente pour moi, maintenant que j’avais été officiellement déclaré homme libre. Pas de chance. On m’a ramené dans ma cellule, pour attendre encore une heure et demie, le temps que le tribunal envoie par fax les documents officiels de libération à la prison. Vers 14 h 30, on m’a enfin sorti de ma cellule pour me ramener à l’endroit où j’avais rendu mon alliance, mon téléphone, mon manteau, ma ceinture et mes chaussures. Récupérer mes biens et signer les documents a pris environ 15 minutes de plus.
J’ai été escorté hors de l’établissement par un policier à 14 h 45 le samedi 31 décembre, libre de passer le réveillon du Nouvel An avec ma famille. Peu de temps après, un collègue est venu à ma rencontre et a enregistré une courte vidéo sur son téléphone portable, qui est maintenant disponible ici : https://www.jccf.ca/john-carpays-personal-statement-after-his-release/.
Je suis rentré chez moi en voiture et j’étais ravi de retrouver ma femme et mes enfants. Ces événements ont été très durs pour eux, surtout pour les plus jeunes.
Jamais de ma vie je n’ai autant apprécié un matelas que lorsque je me suis couché ce soir-là.
Puisque les avis sur Google font fureur de nos jours, je dois dire que le personnel de cette prison était poli, professionnel et aussi amical que possible compte tenu des circonstances. De plus, mon ordinateur fonctionne très bien, même après avoir passé la nuit dans une voiture très froide par une nuit d’hiver à Calgary.
Cette expérience ne m’a pas intimidé. Je continuerai à lutter pour le retour de nos droits et libertés garantis par la Charte, qui nous ont été retirés en mars 2020.
John Carpay, B.A., LL.B., est président du Justice Centre for Constitutional Freedoms (jccf.ca) / Centre juridique pour les libertés constitutionnelles (CJLC.ca).
* Ce texte a été traduit de l’anglais par Samuel Bachand, directeur du CJLC pour le Canada français.